Participants : Pascal Dreux, Gilles Froment
toutes les images sont de Gilles Froment
Habituellement, au club, on ne plonge pas en juillet ou en août sous forme de sorties organisées car tous les protagonistes sont dispersés dans leurs congés annuels et familiaux, les structures d’accueil sur la Côte d’Azur sont bondées et aussi parce qu’il fait chaud, parfois très chaud. Sans compter la cerise sur le gâteau des épisodes caniculaires où il est peu raisonnable de penser enfiler des combinaisons de plongée sans risquer un coup de chaleur.
Cette pause estivale permet aussi de souffler un peu si le reste de la saison a été dense.
Autant plonger en mer dans de l’eau tiède en été est assez simple en optant pour des combinaisons humides assez fines, autant la chose se complique si on veut plonger profond ou longtemps en mer ou bien en eaux intérieures.
C’est une des difficultés à résoudre en plongée estivale dès que l’eau devient fraîche, voire froide.
On rencontre le cas en mer où l’eau est aux environs de 14° dans la zone des 60m ou plus bas, même en été. A toute saison, elle est à 13° dans les siphons ardéchois, de 6 à 11° selon les cavités si on va dans l’Ain, l’Isère ou le Jura et on trouve la même gamme de températures en lac dès que l’on grenouille dans la zone des 30m ou en-dessous.
Il y a donc un difficile compromis à trouver pour choisir l’équipement : Mourir de froid au fond ou mourir de chaud en surface (puis de froid au fond si on est trempé dans le vêtement étanche).
L’ensemble de ces raisons nous pousse donc le plus souvent à faire l’impasse sur juillet et août.
Mais pas cette année !
Il en restait deux cette année suffisamment motivés et disponibles pour en tenter une entre les vacances de l’un et celles de l’autre. Mais on convient à l’avance que ce sera une plongée légère, en humide, tranquille, en autonomie, sans se mettre la pression.
Banco, mais où ?
Bourg-Saint-Andéol en Ardèche ? On connaît déjà bien et il n’y a plus beaucoup d’eau dans les vasques la plupart du temps en été,
Le Groin ? On vient de le faire,
La Fontaine Noire de Cise ? On l’a faite cette année et il y a passage exondé pénible si le niveau est bas comme cela peut l’être en été,
La Douix ? Il faut planifier une demande d’autorisation longtemps à l’avance et on y va déjà en septembre prochain,
Et une simple reconnaissance dans une autre cavité, moins connue, en vue de vérifier son accessibilité et le matériel qu’il faudrait pour la plonger ? Vendu ! Ce sera la grotte de la Passerelle située au pic de l’Œillette, en contrebas de la départementale qui mène à Saint-Pierre-de-Chartreuse.
C’est un siphon important de l’Isère sur lequel, emmenée par Jean-Claude PINNA, une forte équipe de la CRPS-RABA (Commission Régionale de Plongée Souterraine Rhône-Alpes-Bourgogne-Auvergne) a fait il y a une dizaine d’année une grosse campagne d’exploration en prolongeant le 5ème siphon jusque dans la zone des 80m, avec une accessibilité compliquée dans certaines parties du réseau et un développement autour de 900m de longueur.
Comme tous les petits curieux, j’avais repéré cette source depuis longtemps dans la bibliographie spécialisée et j’étais allé y faire une reconnaissance solo fin août 1989. En bi 10 et en humide, cette courte plongée de 16’ à -21 dans une eau à 5,5° avec 1m de visibilité ne m’avait pas dissuadé d’y retourner quelques années après avec un coéquipier montagnard plus aguerri que moi aux manœuvres de cordes destinées à faciliter et sécuriser l’accès à la vasque (mains courantes pour passer les ressauts et accrocher le matériel à la mise à l’eau).
Cela s’est fait en 2 temps avec Pascal MEYGRET.
D’abord en novembre 1991, une reconnaissance en humide et sans équipement, afin de repérer comment pré-équiper le trou pour y transporter un peu de matériel. En apnée sur quelques mètres dans le puits d’entrée, la visibilité cette fois de 4 ou 5 m nous avait donné l’envie de tenter une « expédition », afin de tenter de progresser dans le premier siphon réputé mesurer 185m pour -32m de profondeur maximale. Eau toujours « fraîche » entre 5 et 6°.
Il nous faudra 5 ans pour arriver à trouver le bon créneau fin août 1996.
Avec un bi 12, une 7L et en vêtement étanche pour moi et un bi 10 en humide pour Pascal M, on fera la plongée sur deux jours en réservant un appartement à Saint-Pierre de Chartreuse par le comité social. Il nous faudra 6 heures pour tout mettre en place la veille et on rentrera très tard le lendemain pour tout ramener à la voiture après la plongée.
Cette plongée du 20 août 1996 se révélera décevante par rapport au matériel emmené car la visibilité de 0,5m maximum dans le puits - les instruments à peine lisibles - et un fil rompu en bas ne nous permettront pas de trouver la suite de la galerie principale malgré ½ heure de recherche. Eau à 6°.
L’importance du portage aller et retour pour cette 3ème incursion dans la cavité, ainsi que cette mauvaise visibilité dans le puits, me calma pour un bon moment. Jusqu’à ce mois de juillet 2024, 27 ans après.
La curiosité envers cette grosse galerie horizontale qui prolonge le puits d’accès était restée intacte et c’est seulement le souvenir des difficultés de l’accès à la vasque qui s’étaient un peu estompé.
On allait donc juste faire une bonne reconnaissance pour se remettre le trou en tête et préparer une éventuelle autre plongée plus sérieuse.
Ce sera donc à deux en bi 4L, les plus petits blocs dont nous disposons, et en humide pour être mobiles et plus rapides.
Partis de très bonne heure vers 7h avec l’autre Pascal (Pascal D), nous arrivons à un peu plus de 8h30 sur place au pic de l’Œillette. Des travaux anti-chutes de roches au-dessus la route par la société Hydrokarst, juste avant d’arriver au parking, nous mettent dans l’ambiance car cette société est également connue pour ses compétences en travaux immergés souterrains. Bertrand Léger, spéléonaute de renom et précurseur dans cette spécialité, fut parmi les premiers explorateurs de la grotte de la passerelle en 1967 et travailla plus tard pour Hydrokarst.
Après avoir bataillé pour retrouver l’entrée du bon chemin qui mène à la passerelle enjambant le Guiers mort devant la grotte qui a pris le nom de cette passerelle, une douche froide nous attend en voyant affiché sur un poteau l’arrêté du maire de Saint-Laurent-du-Pont interdisant l’accès au sentier des pêcheurs, nom de notre chemin d’accès à la grotte, pour cause de travaux de sécurisation des écrans pare-blocs du secteur jusqu’au …26 juillet 2024.
Damned, c’est demain et nous serions refaits ? Bien heureusement, c’est Hydrokarst qui conduit ces travaux et je fonce aux nouvelles en allant les voir 200m plus en amont sur la route. Ouf, les travaux près de la grotte sont terminés et on peut y aller. Nous ne sommes pas passé loin du fiasco et, décidément, cette résurgence se mérite !
Le portage peut commencer. Il paraît au premier abord assez aisé car les distances sont raisonnables : environ 130m entre le parking et l’entrée du chemin, puis environ 160m pour aller jusqu’à la grotte par un chemin pierreux descendant nécessitant des chaussures ou des chaussons de plongée à semelle épaisse sous peine de tester ses propres talents de fakir
Il faudra 2 ou 3 voyages chacun pour tout amener au fond de la grotte, devant le petit plan d’eau menant au ressaut en forte pente de 2 ou 3 m de hauteur permettant d’accéder à l’étroit couloir descendant jusqu’à la vasque.
Plus rapide et énergique que moi lors du portage, Pascal partira en avance avec tout son matériel de cordes et points d’ancrage pour préparer les mains courantes indispensables, pendant que je retourne m’équiper en combinaison. Il doit être aux alentours de 11h30 lorsque je reviens à pas lents et prudents en maudissant mes chaussons de plongée de 4 ou 5mm à la semelle trop fine pour tous ces innombrables cailloux pointus.
Pascal a terminé l’installation depuis longtemps et commençait à trouver le temps long.
Le bi 4 tout équipé avec sa Wings fait quand même 20kg et le passage du ressaut, même avec la main courante et une poignée jumar s’avère assez sportif, surtout pour négocier le passage bas au point haut du ressaut.
Pascal est passé en premier et commence à s’équiper avec tout son petit matériel dans l’étroite diaclase débouchant sur la vasque (palmes, dévidoirs, casque, éclairages, gants, instruments, etc.). J’attends mon tour car il n’y a pas la place pour deux debout. Il se mettra entièrement dans l’eau à 7° pour me permettre de m’équiper aussi.
On observe sur la gauche de la vasque, en face de nos cordes, les arceaux de la main courante de nos prédécesseurs. Elles paraissent bien usées, ce qui laisse supposer des mises en charge importantes de la résurgence, avec des vitesses de passage importantes de l’eau et des frottements des cordes sur la roche provoquant leur usure.
Et nous voilà partis. Visibilité 1m, pas top pour la photo, et cordelette 4mm du fil d’Ariane coupée dès les premiers mètres d’immersion, vers -5m, ce qui nous obligera à rabouter.
Après une descente lente dans ce puits de 4 à 5m de diamètre incliné à 60 ou 70°, nous arrivons dans une zone de replat vers -15m qui nous emmène en partant main gauche dans la grosse galerie, dans la zone des -20m.
Après un virage à 90° sur la droite, nous voilà dans un large conduit où la visibilité de 3 à 5m nous permet à peine de voir tous les recoins qui paraissent nombreux. C’est du gros !
Le froid commence à se faire sentir malgré la suée avant la mise à l’eau et, en bi 4L, l’autonomie est rapidement atteinte. Demi-tour à l’étiquette 60m pour une sortie rapide sans paliers de décompression pour cette plongée...en altitude, car la carte topo IGN sur Géoportail annonce environ 650m sur les points de repère altimétriques alentours. La majoration de la profondeur équivalente est faible, de l’ordre de 1,50m pour -21m et de 2m pour -32m et peut être prise en compte dans les réglages des ordinateurs de plongée.
La sortie de la cavité, avec pourtant du matériel assez minimaliste, s’avèrera aussi sportive qu’à l’aller et Pascal se révéla d’une efficacité redoutable dans les passages délicats et pour les portages jusqu’à la voiture.
En définitive, une belle sortie technique, bien plus spéléo que les plongées en résurgence que nous faisons habituellement. D’un simple objectif de reconnaissance dans le puits d’entrée, nous avons pu faire un petit bout de galerie horizontale et voir enfin à quoi ressemblait cette cavité intéressante à plus d’un titre.
On a pu également bien se remettre en tête la logistique associée et la difficulté des portages. Les recycleurs optimiseraient certainement le nombre de bouteilles à emmener par rapport à une plongée en circuit ouvert mais, si on veut aller un peu plus loin dans le siphon, le principe d’un plongeur et le reste de l’équipe en soutien pour le portage semble plus approprié que plusieurs plongeurs ensemble.
Ou bien, il faut programmer la sortie sur 2 jours avec hébergement local, ce qu’on a déjà fait il y a quelques années déjà.
On y retournera donc un jour.