CR de la sortie en plongée souterraine à la source du Groin, 13 décembre 2010
La source du Groin, vasque débordante, ce 13 décembre 2010
Participants : Gilles Froment, Stéphane Simonet
Sauf mention contraire, toutes les photos sont de Gilles Froment.
L’homme a marché sur la lune, retrouvé l’épave du Titanic, planté son drapeau sur le toit du monde ou touché le fond de la fosse des Mariannes. Il ne semble pas exister d’endroit où sa soif de découverte ne puisse lui permettre d’aller.
Et pourtant.
Certains lieux refusent encore de se laisser violer. L’inconnu est là, au bout d’un terminus, un simple morceau de fil stoppé dans le vide…
En 1984, Bertrand Léger explore la source du Groin (département de l’Ain) jusqu’à 1550m. Jean-Louis Camus poussera ensuite l’exploration pour atteindre en avril 1993 la distance de 2100 m : toujours plein nord, la galerie disparaît dans le noir, et nul n’a depuis été plus loin.
La Commission Régionale de Plongée souterraine, emmené par Jean-Claude Pinna (chef de projet ) se propose de tenter de prolonger ce terminus, qui tient depuis 17 ans. Pour cela, il convient de ré équiper et nettoyer le siphon, équipé « en dur » sur 900m, mais topographié sur les 400 premiers mètres.
Nos premières plongées dans la source datent de 20 ans maintenant, et nous avons décidé de donner un modeste coup de main à ce projet ambitieux.
C’est pourquoi nous voilà à pied d’œuvre ce 13 décembre pour la dernière plongée de l’année 2010.
Nos objectifs sont clairs :
reprendre contact avec la cavité (dernière immersion le 11/09/2009 pour moi et le 8 août 2008 pour Gilles)
poser des étiquettes tous les 10m sur le câble en place, jusqu’à 200m
tenter de rejoindre la distance de 400m dans la galerie
D’après les informations recueillies via des connaissances habitant Belley et Artemare, ainsi que les débits de la rivière sur le net, la vasque devrait être pleine mais plongeable, avec de l’eau peut être claire….
http://www.rdbrmc.com/hydroreel2/station.php?codestation=869
C’est un pari…. Que nous allons perdre !
Le Groin débite faiblement par-dessus le déversoir et la vasque est pleine : la clarté de l’eau ne sera pas au RDV…. Mais nous pouvons cependant plonger, et tenter de poser nos étiquettes amoureusement découpées à la scie sauteuse dans une chute de plastique.
Pour cause d’analyseur de PPO2 capricieux, Gilles plongera en bi 2x 12 litres (air) avec 1 relais 10 litres de nitrox 32 et un autre d’air.
Outre mon recycleur, j’emporte avec moi un relais 10 litres de nitrox 32 et un 6 litres d’air. Un bloc de 15 litres d’oxygène, déposé à – 6 m complète le dispositif.
Le portage est limité mais ça n’empêchera pas Gilles de glisser dans la vasque avec son bi sur le dos, une gamelle d’anthologie ! D’autant que le choc fera bouger ses cerclages et l’obligera à remonter chercher les outils nécessaires pour réparer.
Pendant ce temps là, je dépose l’oxygène à 6 m et rassemble mon matériel : les relais, le dévidoir, les plaquettes, les colliers Rilsan et la pince ad hoc.
Après 30 minutes de barbotage dans l’eau à 8°C, nous partons enfin.
prêt à plonger !
Le début de l’immersion ressemble à une plongée dans une émeraude : tout est vert ! Très vite la lumière diminue, l’obscurité s’installe. Le sable fin fait place aux galets, nous avons franchit le porche d’entrée. Les leds déchirent la nuit et nous cherchons le câble gainé de blanc qui nous servira de guide tout au long de ces corridors obscurs : mais il n’y a rien ! Ou plutôt si, un fil mou se répand sur le sol entre les rochers : il s’est rompu !
La crue récente a cassé les amarrages. Il faut rabouter, rafistoler ce fil blessé. Je dépose mes paquets d’étiquettes sur le spit de départ ; ce n’est pas aujourd’hui qu’il faut les poser, si tout l’équipement est à refaire. Avec Gilles nous jouons du dévidoir et du sécateur pour retrouver l’intégrité du fil d’Ariane, tant le minotaure veille au détour du labyrinthe….
Le point bas du siphon se trouve à -25 m sous la surface, les paliers vont s’empiler !! Nous n’irons pas loin si le fil est brisé en plusieurs endroits….
Après 20m de progression environ, le fil retrouve sa vaillance : il est de nouveau solidement amarré aux parois….J’aurais dû garder mes étiquettes…. Une bonne raison pour revenir !!!
La visibilité n’est pas fameuse, 1m 50 environ, nous progressons avec prudence, sans lâcher des yeux ce faisceau blanc qui nous ramènera dehors. PPO2 calée entre 1,2 et 1,3 bar, je progresse derrière Gilles qui tente de percer les ténèbres à grands coups de HID. Très vite il abandonne ses relais sur le fil, la dernière 10 litres trouvant sa place juste avant l’étroiture à 170m.
Bien que la visibilité se dégrade encore, je savoure ma plongée, bien au chaud dans mes couches de laine polaire. Un de mes capteurs oxygène donne des valeurs incohérentes, heureusement que les 3 autres restent stables. Encore du bricolage en perspective au garage…
Encore une étroiture vers 180m. Avec la visibilité dégradée et mes 2 relais, pas facile à négocier. Je me prépare à détacher le 10 litres de nitrox 32 quand je vois Gilles faire demi-tour : en ouvert il doit consommer pas mal à cette profondeur, et les paliers doivent méchamment s’empiler : 35 minutes à son Vytec, alors que mon VR3 en CCR paramétré à 1,2 bar de PPO2 n’affiche que 5 minutes. Bon, il est temps de rentrer.
Dans cette ambiance lugubre et froide, nous prenons le chemin du retour. Parfois nous perdons les parois de vue, tant les suspensions voilent cette roche noire et torturée. Le canyon se perd puis se retrouve, la main gantée sur le fil, les sens en alerte… Sans fil d’Ariane, nous serions perdu dans les corridors de l’Enfer, non pas brûlant et lumineux, mais noir et glacé.
Mais lentement nous progressons, échangeant des signes « OK » dans le faisceau de nos phares. Les bouteilles relais se récupèrent, et lentement nous atteignons la fin du voyage : nous quittons l’artère minérale pour émerger de nouveau dans l’eau couleur jade. Lentement nous remontons la dune de sable pour récupérer la bouteille d’oxygène à 6m. Gilles avale goulûment le détendeur et s’installe pour son palier : gradient augmenté, l’azote dissous en profondeur se rue via ses alvéoles dans les bulles expirées…
Gilles sous oxygène au palier, photo Stéphane Simonet
Soucieux de son confort, il raccorde (avec l’aide de votre serviteur) son chauffage sur le pack d’accus laissé là à dessein, et sourit de satisfaction : ça chauffe…..
Décompression dans une émeraude.
Pour tromper l’ennui nous palmons un peu d’un bord à l’autre de la vasque, faisons quelques photos et vidéos. En fin après 1h 40 d’immersion nous crevons la surface.
Le Groin se défend bien, chapeau aux anciens pour avoir porté si loin ce terminus….
Nous sortons notre matériel et plions l’équipement alors que le thermomètre est passé sous zéro : ma cagoule, posée sur le timon de la remorque, est complètement raidie par le gel. A la lueur des lampes frontales, nous plions bagages…
Et déjà dans la voiture, sur le chemin du retour, s’échafaudent de nouveaux plans, dont certains, c’est évident, se dérouleront, sans accroc, à la source du Groin….
Et nous profitons de ce compte rendu pour vous souhaiter à tous de bonnes fêtes de fin d’année et une santé de fer pour réaliser de belles plongées.
En espérant qu’en 2011, un plongeur guide son dévidoir au-delà du terminus connu de cette source, et revienne pour nous raconter son aventure.