Plongée au lac du Bourget à Brizon-Saint-Innocent, plage de Challière le 13 février 2024
Stéphane Simonet, Pascal Dreux, Gilles Froment
Texte et images de Gilles Froment
Lorsque l’on veut plonger toute l’année, en toute saison, non seulement il faut un équipement adapté aux températures de l’eau et de l’air, mais également une certaine capacité d’adaptation …aux aléas climatiques. Surtout lorsque l’emploi du temps de quelques-uns impose une planification des dates entre 3 et 6 mois à l’avance, avec relativement peu de souplesse pour en changer au dernier moment.
C’est précisément ce qui nous est arrivé pour notre projet de découvrir la Douix de Châtillon, à Châtillon-sur-Seine en Côte-d’Or. Cette source peu profonde et peu longue se déverse dans la Seine après un parcours d’une centaine de mètres dans la ville et est parfois considérée comme la véritable origine de la Seine car cette dernière, à ce stade de son parcours, est souvent à sec l’été comme le montrent les images par satellite sur Google Earth.
Avec 285 km et 3 heures de route, mieux vaut assurer le coup et l’accès à la source est loin d’être garanti pour deux raisons.
Premièrement parce que cette magnifique cavité, semble-t-il propice à la photo, est très fréquentée et il y a embouteillage. En effet, la mairie, très précautionneuse, impose la présence d’un seul club par jour et, surtout, c’est la résurgence école de toute l’Ile de France. Un peu comme Bourg-Saint-Andéol pour les lyonnais. Il faut donc s’inscrire plusieurs semaines à l’avance et demander si le créneau est libre.
Secundo car la source est vite non plongeable dès que son débit augmente après un épisode de pluie. Un rétrécissement pas très loin de l’entrée crée un effet venturi avec une vitesse de courant trop importante pour pouvoir passer avec nos équipements. De l’avis de collègues parisiens et lyonnais fréquentant la source, le seul moyen de prévoir le débit de la source est de faire une corrélation avec celui de la Seine qui passe à 100m. Les bassins versants de la source et des autres affluents de la Seine en amont de Châtillon sont sans doute proches et l’expérience a montré que le débit maximum à surveiller était de 5 à 6 m3/s pour la Seine. C’est la station de Nod-sur-Seine, située 18,5 km en amont, qui donne le La et pilote la décision de maintenir ou non la plongée (https://www.hydro.eaufrance.fr/sitehydro/H0100010/series).
Bref, il faut prendre de l’élan et c’est Pascal, très motivé par la découverte d’un nouveau terrain de jeu, qui s’était collé à la préparation de cette plongée.
La première date tombait le 23 janvier pour notre première spéléo 2024, soit 9 jours à peine après notre retour du Mexique. Un peu ambitieux comme reprise, notamment pour ceux qui s’acharnaient à trier les photos de Playa Del Carmen et de faire le compte-rendu du séjour.
L’épisode pluvieux débuté sur le secteur le 17 janvier n’incitait pas à l’optimisme et, effectivement, le débit de 8 à 9 m3/s les jours précédents (8 à 9 000 l/s sur le graphique) nous poussait vers un report.
Et puis, ce 23 janvier, même s’il n’y avait pas eu de crue, se déroulait le dernier au revoir à Mady auprès de Philippe à Montélimar et notre présence était à ses côtés.
Bref, cette date ne convenait pas.
Après moult démarches de Pascal auprès de la mairie, nous l’avons donc reprogrammée sur la plongée du mois suivant, le 13 février.
Et rebelote pour la pluie. Démarré le 7 février, l’épisode de pluie analogue au nôtre à Lyon, avait de nouveau fait gonfler la Seine à plus de 10 m3/s.
Annulé une seconde fois en rendant Pascal assez morose.
Mais, patients, résilients, flegmatiques, confiants, durs face aux épreuves, …cette plongée sera de nouveau tentée le mois prochain, le 12 mars.
On décide donc de se rabattre sur le plan B au Groin, dans l’Ain, car le département l’Ardèche est aussi en crue avec les 2 sources de Bourg-Saint-Andéol qui débitent trop fort.
Seulement voilà, il a plu sur une bonne partie de la France, de la Côte-d’Or à l’Ardèche en passant par Lyon. L’Ain n’a pas été épargné et le Groin n’est pas garanti non plus.
Cette fois, hormis lorsque des plongeurs ont mis un post sur un forum pour donner une info sur l’accessibilité de la source, les prévisions passent également par une interprétation de la station hydrologique d’Artemare (Cerveyrieu) qui mesure le débit de la rivière Groin.
Cette fois, hormis lorsque des plongeurs ont mis un post sur un forum pour donner une info sur l’accessibilité de la source, les prévisions passent également par une interprétation de la station hydrologique d’Artemare (Cerveyrieu) qui mesure le débit de la rivière Groin.
Cette rivière est en fait l’addition de la rivière L’Arvière qui prend sa source dans le massif du Grand Colombier plus haut dans le département de l’Ain et sur laquelle se raccorde la source du Groin lorsqu’elle est en crue (assez rarement). L’Arvière prend curieusement le nom de rivière Groin après cette confluence, malgré qu’elle fournisse son débit pérenne, la résurgence n’étant qu’intermittente et fonctionnant comme un trop plein de crue d’un immense réseau souterrain.
Le Groin poursuit son cours jusqu’au Séran qui se jette lui-même dans le Rhône.
Et naturellement, bingo, le Groin est en crue, mais son débit est plus difficile à interpréter car la résurgence ne réagit pas toujours comme la rivière qui coule à proximité (ruisseau presque à sec en étiage). De plus, un début ou une fin de crue peuvent s’avérer plus intéressantes pour plonger le Groin car elle peut avoir pour effet de remplir la vasque jusqu’au déversoir, ce qui augmente, certes, la profondeur d’une quinzaine de mètres (max à l’étiage de 12-13m et de 27 m vasque pleine), mais surtout réduit drastiquement le portage en shuntant l’énorme talus de sable pour accéder à la vasque lorsque le niveau est bas.
Dans le doute, avant de partir de Lyon, j’avais rajouté dans la voiture déjà bien pleine une bouteille d’oxygène pour les paliers de Pascal car la décompression monte vite si la vasque est pleine et que l’on traîne dans la zone des -27m en première partie de résurgence (ça remonte un peu après environ 250 m de distance).
C’est un vrai cas-école qui nous laisse dubitatifs un bon moment pour savoir si on tente ou non la plongée. Non seulement la vasque est pleine, ce qui nous va bien. La source débite encore fort au regard de l’état du ruisseau après le déversoir et nous rend interrogatifs sur la possibilité de rentrer dans la cavité au niveau de l’embouchure rocheuse, à l’entrée de la galerie. Le rétrécissement qu’elle procure par rapport aux dimensions du reste de la galerie provoque, vous l’avez deviné, une accélération du débit qui peut s’avérer incompatible avec l’encombrement de nos équipements, comme à la Douix.
La décision sera en fait emportée par l’état glissant du dernier chemin d’accès en voiture à la source. Il est encore bien humide avec des feuilles ou un peu d’herbe et la Lodgy, bien chargée avec sa traction avant, avait déjà pas mal patiné dans la petite côte pour arriver à l’entrée de ce dernier chemin. Porter à pieds tout ce matériel sur ce chemin incertain pour la voiture paraissait également assez dissuasif.
Mais c’est la remarque du sympathique paysan que nous avons croisé quelques centaines de mètres avant d’arriver qui nous a décidé. Après s’être enquis du but de notre présence dans ce coin reculé du l’Ain, il nous rappela l’accident qui avait eu lieu dans la source en 1978 et aussi que son frère, également paysan, était déjà allé de nombreuse fois déplanter des touristes embourbés et incapables de remonter le chemin en voiture. Il nous recommanda la prudence avant de descendre en bas du chemin (facile en été à sec, mais sournois par temps humide) et nous indiqua que son frère n’aurait pas le temps, trop occupé au déblai de sa maison ou d’un bâtiment qui avait brulé récemment.
Le décor était planté et la perspective de nous retrouver à patiner des roues avant avec la remorque et nos 300kg de matos à la nuit tombante nous fit ne pas trop hésiter à aborder le plan C.
Ce sera donc le lac, en espérant que la pluie soutenue des jours précédents n’aura pas trop altéré la visibilité.
Et re morosité de Pascal qui préfère, semble-t-il et de loin, les paysages spéléo à la morne fraîcheur des lacs.
Une quarantaine de km plus loin, après avoir traversé quelques monts et les hauts plateaux de l’Ain avec ses champs pleins de givres, nous revoilà à Brizon-Saint-Innocent, plage de Challière, vers nos amis les silures (voir CR antérieurs).
Nous y sommes allés 2 fois en 2023 et on a bien tenté la Pierre à Bise située quelques centaines de mètres plus loin, afin de changer de lieu, mais la place était déjà occupée par un groupe de plongeurs. On va donc se rabattre sur la plage de Brizon-Saint-Innocent. Pas vraiment un plan D, mais seulement un plan C’.
Challière, nous revoila.
Pour plonger toute l’année, hiver comme été, qu’il fasse beau ou moins beau, il faut s’avoir s’adapter et avoir plusieurs tours dans son sac.
Et le lac, c’est bon pour la formation des jeunes plongeurs.
Nous sommes seuls sur le petit parking face à la plage de Challière et l’absence de vent assortie d’un soleil qui commençait à nettement sortir du bois au-dessus des paquets de brume ou nuages bas laissait présager une belle journée au bord de l’eau et un peu en-dessous.
Après l’expansion habituelle de tout le matériel sur diverses bâches pour que chacun retrouve ses petits dans la Lodgy et la remorque surchargées, tout se met en place avec une petite routine qui commence à être rodée, chacun ayant ses petites habitudes ou son emplacement préféré de dépose de matériel, sur le muret d’en face ou bien le long des rochers du bord du lac.
Jusqu’à ce que, zut, le gros plomb destiné à ancrer les bouées destinées à accrocher tout notre petit matériel ou bouteilles-relais manque à l’appel. Juste oublié dans les préparatifs toujours un peu à la bourre.
Qu’à cela ne tienne, Pascal, toujours en pointe sur le matériel, sort un salvateur perforateur sur batterie. Un trou de 8 dans une belle pierre plate pour y fixer une plaquette et voilà le meilleur corps-mort de bouée de balisage que nous n’avons jamais encore eu. Soigneusement planqué dans un coin, la pierre pourra servir de nouveau la prochaine fois, si des écrevisses insolentes ne la déplacent pas plus loin.
Les objectifs sont classiques pour nos plongées lac tous les trois : Poursuite du perfectionnement pour Pascal, peaufinage de l’équipement avec son ergonomie, gestion des gaz, de la déco et du froid. Sur ce dernier point, Pascal vient de faire un saut technologique avec un gilet chauffant dernier cri apporté par le père Noël il y a quelques semaines.
Essai concluant vu ses yeux brillants à l’évocation de ce bonus lors du débriefing. Un atout de plus pour le confort et même la sécurité des plongées fraîches ou longues, ou bien les deux qui paraissent désormais un peu plus plausibles. Les plongées spéléo sont souvent moins froides que les lacs en hiver (7° au fond et 8 ou 9° en surface cette fois), mais parfois plus longues, ce qui revient au même pour la protection contre le froid : Il faut être bien équipé.
Rarement nous avions vu la surface du lac aussi calme et lisse. Sans la trouver tout de suite, c’est en recherchant la caverne aux silures proche de la surface (-4m) que je me suis aperçu que les bulles d’expansion de mon faux-poumon et de mon vêtement étanche en remontant provoquaient lors de leur éclosion en surface de nombreuses rides sur l’eau se propageant en cercles concentriques que le soleil reflétait sur le fond. Et en levant les yeux vers le haut près du bord, je voyais la route et ses rambardes de sécurité pratiquement sans déformation.
Stéphane suit Pascal qui ouvre la marche. Après la 3 mm dans les eaux mexicaines, retour au vêtement étanche dans une eau à 6°C
Quelle sensation de paisible tranquillité dans cette eau extrêmement claire traversée par des rayons de soleil bien drus. Instants de félicité intense en recycleur, sans bruit, mitraillant à tout va avec mon appareil photo ce spectacle rare, pendant que mon chauffage, en position maximale depuis déjà un bon moment, me cuisait le bas des rognons.
Les gros silures de plus de 2m s’étaient fait la belle et n’étaient pas dans la grotte. Tant pis, la centaine de mètres séparant la grotte de la mise à l’eau allaient me permettre sur le retour de trouver moult sujets à cadrer avec la bague macro que j’avais montée au bout de mon caisson.
en lac, pas de fond stable pour pouvoir se poser en cas de besoin. le moindre effleurement soulève un nuage de touille, annule la visibilité et englue le plongeur. ici, le maitre mot c'est STA-BI-LI-SA-TION !
Lorsqu’on se balade au-dessus du fond et que l’on a le regard circulaire pour bien mémoriser paysages, rochers ou objets insolites, on ne voit pas la même chose si on a un appareil photo à la main, avec une bague macro qui vous agrandit jusqu’à 10 fois ce que vous peinez à distinguer par le masque au travers de vos lentilles correctives pour la vue de près.
Un autre monde, si près, à portée de vue. Seule la mise au point de l’appareil photo est délicate à cause du fort grossissement et il faut gérer la distance de l’objet photographié au mm près, sans bouger.
Malgré les gants de 5mm, le froid rend les doigts gours et les gestes moins précis, mais le déclencheur de mon caisson est arrivé à fonctionner plus de 150 fois.
Le retour se fera comme toujours en commentant notre plongée, en prévoyant la suivante et en visionnant le premier rush des photos par ceux qui ne conduisent pas la voiture.
Malgré les aléas climatiques de la période, ce fut malgré tout une belle et riche journée de plongée hivernale.