Yoyo: un jouet dangereux.
" Vous avez lu l'histoire de Jessie James ? Comment il vécut, comment il est mort ? Ça vous a plus vous en voulez encore ? Alors, lisez l'histoire des bulles artérielles..."
Vous aurez reconnu les mots de Serge Gainsbourg...
Alors voilà.
L'histoire commence il y a quelque années. Un moniteur de plongée, prénommé Michel, s'entraine un dimanche à la fosse de plongée de Villeneuve la Garenne. Il prend en charge 2 élèves: échauffement, 2 apnées à 5 m puis à 10 m. Il s'ensuit une immersion en scaphandre de 25' à 20 m. Le but de l'exercice est la remontée contrôlée sur gilet: 8 remontées seront effectuées, dont 2 sans embout pour Michel ( qui prépare son MF2). Toutes les remontées sont stoppées à – 5 m et un palier d'une minute sera observé avant la sortie de l'eau.
La vitesse de remontée tourne autour de 12 à 15 m/min.
A peine sorti de l'eau, Michel débute un accident de décompression. La suite est malheureusement classique: pompiers,oxygène, SAMU, évacuation vers un centre hospitalier, et caisson presque 7 h après la sortie de l'eau.... Michel sortira après 41 jours d'hôpital, sur un fauteuil roulant. Il remarchera avec une démarche légèrement claudiquante, mauvais souvenir d'une plongée pourtant "banale".....Ou presque.
Le décor est planté, tâchons maintenant de mieux comprendre cet accident.
Tout d'abord, que ce soit au milieu des posidonies ou des carreaux de faïence, les règles de la physiologie et de la physique restent les mêmes. Même si l'eau est chaude et que nous évoluons dans un milieu artificiel et "sécurisé", nous ne devons pas oublier les procédures de notre activité. L'ambiance détendue de cette grande piscine ne doit pas nous faire négliger les 3 bars de pression qui s'exercent au fond du tube.
Donc, respect de la vitesse de remontée et des paliers. Les tables fédérales ( MN90 modifiées 96 ) nous autorisent 40' de plongée à 20 m sans palier. Il est peu probable que nous restions aussi longtemps durant nos séances, surtout avec le petit shorty 3 mm fourni par l'UCPA.
Mais cela reste théoriquement possible. Donc prudence. Si vous emmenez un ordinateur de plongée, il est quasiment certain qu'il vous donnera après 20 ou 30' de plongée un palier de 2 ou 3' à 3 m. C'est un palier de principe, mais respectez-le.
Là où l'affaire se corse, et vous l'aurez compris, c'est lorsque les montées & descentes s'enchaînent, histoire de perfectionner son assistance gilet, de peaufiner un sauvetage palme ou bien encore de s'entrainer à secourir un camarade inconscient ayant lâché son détendeur et dégringolant vers les abysses, cerné par les requins affamés...
photo Gilles Froment
Ok, là j'exagère un peu....
Pourquoi ces yoyos sont ils dangereux ?
Le profil ci-dessus, aussi bien en mer qu'à la fosse de plongée est à bannir !
Tout d'abord un petit rappel anatomique:
Le schéma suivant illustre l'élimination de l'azote dissout dans notre organisme. Lors de la remontée, le gaz neutre diffuse en dehors des tissus et repart dans le sang veineux ( riche en CO2 ). La pression diminuant, l'azote reprend sa forme gazeuse sous forme de petites bulles. Arrivées au coeur, ces bulles sont envoyées vers les poumons et éliminées par la respiration au niveau de nos alvéoles pulmonaires.
Si on laisse le temps à notre organisme de faire ce travail ( vitesse de remontée suffisemment lente et respect des paliers ) tout se passe bien. Le sang chargé d'oxygène repart vers le coeur qui le renvoie chercher d'autres bulles à éliminer.
Ce scénario, c'est celui qui se produit lorsqu'après une belle plongée "carrée" sur l'épave du Rubis ou de l'Espingole, nous remontons tranquillement vers la surface.
Mais si pour une raison ou une autre, on décide de redescendre au moment où les bulles sont sur le point de franchir la barrière alvéolaire des capillaires, la pression augmentant, le volume de la bulle diminue (retour à la loi de Boyle-Mariotte, vous vous rappelez vos cours théoriques si ennuyeux ?).
Le volume de la bulle diminuant, impossible de franchir normalement le filtre pulmonaire en diffusant vers l'alvéole et le gaz repart dans le sang artériel.
Ce n'est pas gravissime, sauf qu'à force de jouer à ce petit jeu ( dangereux), on finit par accumuler un peu trop de gaz dans le sang artériel.
Et ce sang qui sort du coeur par l'artère aorte peut s'engouffrer dans les carotides: les petites bulles, qui auraient du s'échapper par les poumons ayant tendance à monter, elles peuvent aller directement vers nos centres nerveux, cerveau ou moelle épinière....
Et là, l'accident de décompression est possible, malgré le respect de la vitesse de remontée et des paliers. Nos tables et nos ordinateurs se sont pas conçus pour gérer cette accumulation de gaz dans le sang artériel, et en fait, personne ne le sait ! Et très peu de gaz dissout suffit pour créer une bulle artérielle.
Alors que faire ?
Ne pas faire de yoyos !
Photo Gilles Froment
Réponse facile, j'en conviens. Essayons de développer un peu.
Lorsqu'on y est obligé, pour apprendre ou s'entraîner aux remontées assistées ou contrôlées, il faut réaliser cette opération avec prudence:
1° toujours faire des yoyos au tout début de la plongée, pour que la charge en azote dissout soit la plus faible possible, et que la probabilité pour que des bulles franchissent le filtre pulmonaire soit faible.
2° limiter à 2 le nombre d'aller-retour entre le fond et la surface: On descend, on fait 2 remontées au maximum et c'est terminé. Si on peut, redescendre au fond ou à demi-profondeur pour recomprimer les bulles pendant 5 min est un bon plan. Si on dépasse 40 m, un seul yoyo doit être réalisé.
3° pas de yoyos pendant une plongée successive;c'est là où le taux de micro bulles est le plus élevé. La seconde plongée de la journée doit être calme et zen.
4° plonger au nitrox, ça diminue la charge en azote. Mais ça ne dispense pas des règles citées plus haut.
5° pas d'effort après une plongée yoyo: passez votre bloc à quelqu'un et ne forcez pas avec, pour monter à l'échelle.
6° certains ordinateurs affichent un signal "Atn" ( attention ) si vous faites trop de yoyos. Si vous le voyez s'afficher c'est déjà un peu tard...
7° ne misez pas tout votre entraînement sur les remontées, surtout en fosse. Il y a plein d'autres exercices à faire pour travailler l'aisance: stabilisation en pleine eau sans palme, sans masque, en écrivant sur une ardoise, remontée ultra lente sans bouger en gérant au poumon ballast, etc... Bref, une séance en fosse ne doit pas être uniquement réduite à monter et descendre d'un ascenseur...
8° traquez les yoyos déguisés et sournois: redescendre décrocher le mouillage coincé immédiatement après la plongée, le palier chaotique à 3 m quand la houle est trop forte, monter et descendre en explorant une grande épave, etc...,
9° votre capacité pulmonaite de "filtration " des bulles n'est pas constante: le froid, la fatigue, le CO2, le tabac, l'âge etc influencent votre capacité à éliminer les bulles. Ce qui passe bien un jour, peut aboutir à une catastrophe le lendemain.
J'espère que ce petit article aura su vous intéresser, et surtout vous aura éclairé sur ce sujet complexe et souvent trop vite abordé.
Bonnes plongées à tous.
photo Gilles Froment
Stéphane Simonet
( relecture attentive de Gilles Froment)
"La pratique sans la théorie est aveugle,
la théorie sans la pratique est absurde" Emmanuel Kant.